CHAPITRE XI
Il me regarde longuement avec une flamme avide dans les yeux.
— J’ai fait sortir Glarman. Ce secret, je dois être le seul à le détenir, le seul à pouvoir en disposer. En contrepartie, je vous offre la vie sauve, pour vous et pour la fille d’Elgor. Vous resterez prisonniers, mais vous serez ensemble et on vous traitera avec le maximum d’égards.
Pris d’une agitation fébrile, il quitte son fauteuil pour faire quelques pas dans le laboratoire. Habitué à ce qu’on lui obéisse toujours, il ne doute pas de mon consentement et son œil brille d’excitation.
Une excitation qu’il n’essaie même pas de cacher.
— Contre la vie sauve et ma liberté et celle de Forna, j’accepte de vous conduire de l’autre côté.
— La vie sauve, oui. Vous serez tous les deux assignés à résidence dans un de mes palais. La liberté, c’est impossible. Vous devriez le comprendre, Stamara, on ne partage pas un si prodigieux secret.
— Et si je refuse ?
Il hausse les épaules.
— Ce serait ridicule de votre part. Je peux vous obliger à parler.
— Sous l’assimilateur de pensées, mais vous avez stoppé l’expérience par crainte de me voir devenir fou avant de vous avoir tout dit.
— Et la torture ? Je peux vous faire torturer et torturer la fille d’Elgor devant vous. De toute façon, c’est un secret trop lourd pour un simple particulier. Voyez Elgor, il le connaissait et il n’a plus jamais osé quitter Star.
Je pousse un soupir.
— Les couloirs sont responsables de la disparition de la civilisation de Méréa. Elgor n’a pas voulu faire courir le même danger à la nôtre.
— C’est à moi de décider de toute façon. Dois-je faire appeler Forna et le bourreau ?
Naturellement, je secoue la tête car je ne discute que pour la forme. Il y a longtemps que je suis décidé. Sans s’en douter, en découvrant dans mon subconscient l’existence des couloirs, l’empereur est tombé dans le piège, le piège du Temps.
— Délivrez-moi et je vous conduirai de l’autre côté.
Sourcils froncés, l’empereur reste un instant silencieux, puis il murmure :
— La vie de Forna répondra de la mienne. Je sais que tu l’aimes. Où faut-il se rendre pour passer dans les couloirs ? Où se trouve la porte ?
— Il y a des portes partout quand on possède la clef.
— Donc, ici même ?
— Dans cette pièce.
— Et tu as une clef ?
— La bague qui se trouve à mon doigt.
— Forna porte la même.
— C’est également une clef.
Son front se couvre de sueur. Il comprend que la décision qu’il va prendre est d’une importance capitale et que la moindre faute pourrait lui être fatale.
— Tout d’abord, nous n’allons faire qu’un simple aller et retour dans les couloirs et nous aviserons après.
Un sourire un peu sardonique joue sur ses lèvres et il appuie sur un bouton. La porte du laboratoire s’ouvre et Glarman apparaît.
— Où se trouve Forna ?
— En compagnie de votre aide de camp, de sa femme et la mienne.
— Vous êtes certain qu’elle ne peut pas s’échapper ?
— On lui a laissé ses liens.
— Parfait. Dans dix minutes exactement…
Il se tourne sur moi.
— Pour un aller et retour, dix minutes suffisent-elles ?
— Largement.
De nouveau, il s’adresse à Glarman :
— Dans dix minutes exactement donc, si je n’ai pas annulé mon ordre, vous conduirez la prisonnière dans la salle de désintégration.
— La fille d’Elgor ?
— Personne, en dehors de nous, ne sait qu’elle se trouve au Palais. Vous êtes le seul à le savoir avec mon aide de camp et vos femmes, mais je sais pouvoir compter sur votre discrétion.
— Il y a aussi un domestique et l’officier qui montait la garde à la poterne.
— Vous les ferez disparaître également tous les deux, si je n’annule pas mon ordre. Mais soyez sans crainte à ce sujet, je le ferai, Stamara s’en porte garant.
Glarman s’incline. Il est un peu surpris, mais ne fait aucun commentaire. Il sort et, dès que la porte s’est refermée derrière lui, l’empereur me débarrasse de mes liens magnétiques.
— J’attends.
— Comme je ne dispose que d’une seule bague, je suis obligé de vous enfermer dans un champ de force avec moi. Où se trouve la boîte noire qui était attachée à ma ceinture ?
— Tout ce qu’on vous a pris se trouve sur le rayonnage au fond du laboratoire. N’oubliez pas que la vie de Forna…
— Je n’oublie rien.
La boîte ! Je la prends, mais je laisse le baudrier du compensateur de gravité. L’empereur me regarde avec curiosité. Je m’approche de lui.
— Je suis obligé de vous prendre par la taille.
— Faites.
A cause de Forna, il ne doute pas de ma loyauté. Après avoir relevé la manette du champ de force, je le lâche et j’empoigne ma bague.
Le nuage. Il se dissipe et nous nous retrouvons au bord d’un quai. Je libère immédiatement mon prisonnier du champ de force et il promène autour de lui un regard fasciné.
— Ainsi, c’est cela. Je m’attendais à tout autre chose.
— Nous ne sommes pas dans une station.
— Car il y a des stations ?
De la tête, je lui indique le couloir vers la droite.
— C’est par-là.
Brusquement, il dégaine son fulgurant et le braque sur moi d’une main un peu tremblante. Il est pâle et respire d’une façon un peu haletante.
— Ne soyez pas stupide.
Il tire pendant que, mentalement, j’appelle les robots. La décharge n’était pas totale. Je suis paralysé, incapable de bouger ou même de parler, mais je reste conscient.
L’empereur s’approche de moi et retire la bague de mon doigt avant de la passer au sien.
— Je vous ai observé, Stamara. Je sais exactement ce qu’il faut faire avec cette clef. Empoigner le bloc de barium entre le pouce et le majeur tout en agissant sur la pierre qui doit pivoter dans son alvéole avec l’index.
Il rit.
— Ici, dans cet endroit que vous connaissez bien alors que je ne l’ai jamais visité, je serais vite à votre merci. Je vais aller chercher Glarman. Il se servira de la bague de Forma. A deux, nous pourrons vous tenir en respect.
Tout en parlant, il fait exactement le geste qu’il m’a vu accomplir dans le laboratoire. Je voudrais le retenir, mais je ne peux pas parler. Soudain, un nuage l’enveloppe, puis la fumée se dissipe et il a disparu.
Est-ce que mon appel a été entendu par les robots ? Je ne perçois aucun bruit. L’abominable silence des couloirs de translation, du monde de Méréa m’enveloppe et je suis affolé à la pensée qu’un vol de stires pourrait soudain s’abattre sur moi.
Je continue à lancer mentalement des appels désespérés, mais j’ignore s’ils peuvent franchir le fluide qui me paralyse. Pourtant, j’ai brusquement la sensation d’une présence, derrière moi…
Un stire ? Une angoisse folle me serre le ventre, puis un robot se matérialise devant moi et tout de suite, sur une impulsion mentale, il avance un crochet dans ma direction.
Me voilà délivré et je pousse un soupir de soulagement.
— Il me faut une autre bague et un voluc.
Le robot que j’ai en face de moi ne bouge pas, mais je sais que ma demande a été entendue, qu’il l’a transmise. En effet, une autre machine flotte soudain jusqu’à moi.
Une bague et un voluc. Je glisse le voluc dans l’étui de ma ceinture puis, par prudence, je m’enveloppe dans un champ de force avant de me servir de la bague.
Le nuage ! Dès qu’il se dissipe, je me retrouve dans le laboratoire, à une fraction près du moment où je l’ai quitté.
L’empereur n’est pas là. Il a donc été projeté dans une autre dimension. Il est mort écrasé ou continue sa fuite éperdue dans des univers qui ne veulent pas de lui.
Dix minutes ! J’appuie sur le bouton dont s’est servi l’empereur pour appeler Glarman et l’officier revient immédiatement car il n’avait pas encore eu le temps de s’éloigner.
Il sursaute en me voyant seul et s’exclame :
— Où est l’empereur ? Stamara, si vous lui avez fait le moindre mal…
— Je ne lui ai fait aucun mal, mais il ne reviendra plus jamais.
— Misérable !
Glarman a dégainé son fulgurant et il m’asperge. Impassible sous la protection du champ de force, je sors mon voluc et je l’ajuste.
La surprise lui fait écarquiller les yeux et, lorsque j’appuie sur la détente, il se raidit. Je m’élance et je bouscule sa masse figée pour passer dans la pièce voisine.
L’aide de camp de l’empereur est là. Il a été alerté et tient un désintégrateur à la main. Il m’en menace immédiatement.
— Halte ! dit-il d’une voix sèche.
Trois femmes sont avec lui ; l’une a les bras attachés derrière le dos… Forna ! Je lui souris et je lui annonce :
— C’est fini, maintenant.
— Où est l’empereur ? tonne l’aide de camp.
— Vous pouvez le considérer comme mort. En tout cas, vous ne le reverrez jamais.
Affolé, il appuie sur la détente de son arme. Le fluide meurtrier me prend de plein fouet, mais j’éprouve une simple sensation de froid glacial.
L’aide de camp me fixe avec des yeux exorbités.
— Vous êtes le diable.
Les deux femmes aussi sont muettes de surprise. Une blonde et une brune, très belles toutes les deux. L’aide de camp appuie une nouvelle fois sur la détente de son arme, mais en voyant que sa décharge n’a pas plus d’effet que la première, il lâche le désintégrateur.
— Faites de moi ce que vous voulez, Stamara. Je me rends, mais sauvez l’empereur.
— Pour lui, il est trop tard et je n’y peux rien. Il a commis une erreur. Vous comprendrez vite laquelle quand je vous aurai conduit là où il a disparu.
Il secoue la tête.
— Où est Glarman ?
— Dans la pièce voisine. J’ai été obligé de le paralyser, mais il n’en a pas pour très longtemps. Délivrez Forna de ses liens magnétiques, maintenant.
Sans discuter, il m’obéit.